En poussant la porte, la dernière chose à laquelle je m’attendais était de rencontrer d’autres personnes ! Dans mon propre paysage intérieur ? Alors que je suis là, peinard, à me balander dans ma tronche ? Qu’est-ce que c’est que ce délire !

J’espère que ça veut pas dire que je suis schizophrène ou quelque chose dans le genre, parce que ça me foutrait les boules quand même. Remarque qu’après l’exploration que j’ai faite aujourd’hui, je peux pas nier que j’ai peut-être effectivement quelques soucis dans la caboche.

— Salut tout le monde, euh... Qu’est-ce que vous faites ici ?

— Je... Euh, bonjour, je m’appelle Robin, dit une jolie gonzesse un peu trisoune mais au charme indéniable.

— Connais pas de Robin, qu’est-ce que tu fais là ?

J’ai juste aperçu une montée de larmes avant que la nana ne baisse les yeux. Qu’est-ce que c’est que ce bordel...

— Et vous ? Vous autres, là ?

Un gars un peu tendu me dévisage avec le regard méchant.

— Je m’appelle Pierre. Et toi, qu’est-ce que tu fous ici ? Pourquoi vous êtes tous dans ma tête ? C’est quoi cette merde ?

— De quoi tu parles Pierrot ? C’est vous qui êtes dans ma tête, ouais ! J’ai mis ce foutu casque sur ma tronche, j’ai vu des trucs de mon enfance, de quand j’étais ado chez les curés, ma pomme en costard de mariage, et d’un coup vous débarquez sans prévenir ?

— Hé, calmos le punk. J’ai mis le transdreamer sur ma tête, j’ai exploré cette connerie de train, et je viens d’entrer dans ce wagon où vous n’êtes pas censés être.

La petite blondinette relève le museau. Mince, elle est vraiment jolie. On dirait qu’elle veut parler, mais ça prend une plombe. Pierrot et moi on a gaulé qu’elle était en train de rassembler ses idées, alors on est polis et on attend.

— Je... Pardonnez-moi, mais moi aussi j’ai acheté un t-t-transdreamer, et j-j-je viens d’ouvrir une porte dans un chalet en pleine m-m-montagne.

Attends attends attends... On vient tous de notre exploration au transdreamer, et on se retrouve ici ensemble ? J’allais ouvrir ma gueule mais je vois que Pierrot a capté aussi. Je préfère le laisser parler, il a l’air un peu sous le choc, et il a toujours pas desserré les poings.

— Attendez là, si on vient tous de notre exploration au transdreamer, et qu’on se retrouve ici ensemble, y’a comme un souci non ?

— Pierrot, mon pote ! J’venais de penser la même chose, au mot près ! Y’aurait pas comme une p’tite découverte un peu sensass’ là ?

— Je suis pas ton pote. C’est quoi ton prénom d’ailleurs ?

— Calmos le tendu, ça va pas nous aider cette attitude là. Appelle-moi Max. Tu comprends ce que ça veut dire ?

— De quoi ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

Bordel, il desserre pas les poings le gars. C’est quoi cette colère là ? Il a chopé ça dans son explo transdreamer ?

— Allez mon poto, fais un effort. À ton avis, si le transmachin nous a fait explorer notre vie passée, notre inconscient, et qu’on se retrouve ici... Ça veut dire que ?

— Arrête putain ! Je suis pas Pierro, ton pote, ni ton poto, encore moins ton frangin, tu m’appelles Pierre et tu restes tranquille !

— Arrêtez de vous énerver !

Bon, ben la petite, les yeux exorbités, les lèvres qui tremblent, elle vient d’exploser. On la boucle, du coup. Je savais pas qu’un si petit corps pouvait hurler aussi fort. En tous cas, elle nous a bien calmés, et du coup mon frangin Pierrot il a desserré les paluches. Victoire !

— Pierre, ce que Max veut te dire c’est que si le transdreamer fait vraiment ce qui est annoncé, si on vient tous les trois de nos inconscients respectifs, alors ça veut dire qu’on est en quelque sorte reliés...

— Hé ouép jolie Robin, dans le mille. Tous les trois, on est liés là-dedans, tout au fond de nos cerveaux.

L’idée d’être connecté à Pierrot est sympa, mais c’est pas non plus la grosse nouvelle du jour. Par contre, la petite Robin, j’suis bien content qu’on ait un bout d’inconscient en commun. Et qui sait, on va peut-être pouvoir faire plus ample connaissance dans le monde réel. Et puis surtout, je crois bien que...

— Attendez... ATTENDEZ ! s’écrie mon Pierrot, façon eurêka. Si on est connectés, ça veut dire que sur Terre, y’a sûrement plein d’autres personnes dans notre cas. Du coup, ça signifierait que les Hommes sont Qu’est-ce que ça veut dire, à votre avis ?

— Aucune idée, mais je suis heureuse de ne pas être la seule à penser qu’il y a quelque chose à comprendre de cette histoire. Ça peut vouloir dire qu’on a quelque chose de profond en commun, quelque chose à partager ? Je ne sais pas... Je n’y comprends pas grand ch—

Une petite mamie vient de débouler d’une porte qui n’existait pas y’a pas deux minutes. Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel, sérieusement ? Pourquoi une vieille de 80 piges bien tapées aurait un quelconque lien avec moi ? Je commence vraiment à baliser...

— Bonjour jeunes gens, qu’elle nous dit la petite mamie avec le sourire, que faites-vous dans mon paysage intérieur ? Ce voyage est passionnant, qu’elle ajoute, bien qu’un peu longuet, surtout vers la fin.

J’ai pas su quoi répondre. Là, je dois avouer que dans mon cerveau y’a quelque chose qui s’est mis en pause. Et du coup, j’ai même pas réagi quand j’ai vu une porte apparaître, sous mes yeux, juste en face de moi. C’est quand la p’tite mamie qui l’a regardée avec intérêt, et l’a ouverte tranquillement pour la franchir. J’ai senti un petit frisson me parcourir le corps, et j’ai vu autour de moi que ma petite Robin et mon poto Pierrot venaient de vivre le même coup de jus dans la colonne vertébrale. Ils ont écarquillé les yeux, comme s’ils avaient oubliés où ils étaient, et puis leurs regards sont tombés sur la porte ouverte.

On s’est concertés une demi-seconde, d’un coup d’oeil, et on s’est lancés à travers la porte. Je crois que j’étais à la fois excité par le goût d’aventure que prenaient les évènements, et un peu flippé à l’idée d’avancer.

Bon. Clairement, j’étais pas prêt à voir ce que j’ai vu. Quand on a franchi la porte, on s’est retrouvés dans une forêt. Pas la petite forêt du coin, non, plutôt la grande forêt façon Lord of the Rings. Sauf que là, pas d’Elfes. Par contre, d’autres personnes. Des dizaines, des centaines, des milliers d’autres personnes.

Tout le monde débaroule de partout, on dirait que les gens sortent des troncs d’arbres. En me retournant, je me rends compte qu’effectivement on est sortis d’un tronc d’arbre. On n’est plus à ça près. Une fois la surprise passée, c’était quand même hyper drôle à regarder : ils avaient tous l’air aussi paumés que nous !

— Mais... Qu’est-ce que c’est que ce bordel.

Mon Pierrot n’avait pas l’air convaincu par la situation. Faut dire que c’est un sacré brainfuck ce truc. En plus, on est dans notre rêve, enfin notre paysage intérieur, donc on n’a pas nos smartphones, ni nos assistants personnels, donc on est vite déboussolés.

— Je... Qui sont tous ces gens ? Nous serions tous connectés ? Reliés, ensemble, à travers une vaste conscience collective ?

Ah, et bah ma Robin reprend du poil de la bête ! Je me suis dit la même chose, à vrai dire. Je crois qu’avec le transmachin on s’est juste rendus compte qu’on était tous reliés aux autres dans le fond de notre conscience. C’est quand même un truc de fou, tous ces gens. Et puis on dirait bien qu’ils viennent des quatre coins du monde. Y’a des petits, des grands, des gros, des maigres, des noirs, des blancs, des asiatiques, et j’en passe !

Je crois bien qu’on est restés plantés là un bon paquet de minutes. En fait, on savait pas quoi faire. Et au bout d’un moment, y’a quand même un mouvement général qui s’est dessiné, les gens apparaissaient un peu partout, et ils rejoignaient assez rapidement un chemin un peu plus large au coeur de la forêt. Du coup, sur le chemin, on avait un sacré paquet de monde, qui avançait dans la même direction.

— On les suit ? a demandé timidement Robin.

— Yes ma belle, on va les suivre, et j’espère bien pouvoir discuter un peu avec eux pour comprendre un peu ce délire !

On a pas mal marché sur le chemin, qui a débouché sur un autre chemin plus gros, sur lequel d’autres personnes encore nous ont rejointes. On était quand même vraiment beaucoup. Sur la route, on a tapé la discute avec deux ou trois personnes, et faut admettre que tout le monde s’accorde au moins sur un point : on ne comprend RIEN à ce qui se passe.

Bon, assez rapidement on a commencé à discuter d’autre chose, faut bien passer le temps. Y’a un Chinois qui m’a parlé un peu de sa vie, et on a été vachement surpris de s’apercevoir qu’on parlait la même langue. Lui il avait l’impression que je parlais en chinois, et moi j’avais l’impression qu’il parlait en français. Encore un truc incompréhensible. Un de plus.

On est arrivés à la sortie de la forêt après deux bonnes heures de marche. Et une fois de plus, on n’était vraiment pas prêts pour ce qu’on allait vivre. En sortie de forêt, on s’est retrouvés dans une carte postale.

Grand soleil, une grande étendue d’herbe bien grasse et verte, un peu vallonnée, pas loin d’un beau petit lac, des arbres fruitiers et des buisson à mûres et autres baies un peu partout. Bordel, ça change de nos habitudes dans les grandes métropoles ! C’était dingue, ça ressemblait un peu au Paradis.

Quand on est arrivés sur place, y’avait déjà tout un paquet de gens (sûrement ceux qui étaient au début de la file, du coup) qui étaient installés sur l’herbe, par petits groupes çà et là, et qui discutaient. Ils s’étaient servis sur les arbres ou dans les buissons, et mangeaient tranquillement tout en discutant. Y’en avait d’autres qui étaient déjà à la baille, les moins pudiques étaient carrément à poil. L’eau avait l’air d’être pure de chez pure, super bleue, limpide.

J’ai essuyé une petite larme dans le coin de l’oeil. Je sais pas pourquoi, mais ça m’a donné envie de chialer. C’était vraiment magnifique.

On s’est regardés avec Pierrot et Robin, et je crois qu’on en a eu marre de se poser des questions et de se prendre la tête. On a haussé les épaules, et on s’est approchés d’un petit groupe pas loin de nous, qui étaient en train de discuter en rigolant. On a chopé quelques abricots, et on s’est assis à côté d’eux. Pour les rencontrer, tout simplement.