• Watashi no uso !

Cela fait-il partie de mon rêve ou j’entends réellement les notes de ma mélodie préférée résonner ? je n’ai pas envie de bouger, je suis bien ici, bercée par la mélodie du piano. Délicatement, comme pour ne faire plus qu’un avec elle, j’enfonce plus profondément mes doigts dans le sable rouge. Mais déjà, je sens les particules de mon corps se dématérialiser.

  • Non ! laissez-moi encore un peu ici ! S’il vous plait !

Pourquoi faut-il que ces sessions soient toujours trop courtes ! Si je garde mes yeux fermés, je serais toujours dans la grotte ! Mais c’est peine perdue... je sens mon corps remonter à la surface.

  • Sujet 07mp98 en phase de réveil. Température corporelle de 37,2°c, rythme cardiaque :96, tension artérielle de 13,5, énonça la voix de synthèse du transdreamer.
  • Salut Teddy ! moi aussi, je suis contente de te revoir ! Je vais bien, je te remercie ! ça ou un « moi aussi, je t’aime », cette machine ne verrait pas la différence !

A l’ouverture du caisson de flottaison, martin est là pour m’accueillir avec mon peignoir. Ses lunettes connectées rivées sur son nez, il ne me voit qu’en arrière-plan de données qui accaparent toute son attention.

  • Comment te sens tu ? Harold et Hélène t’attendent pour le débriefing, une fois que tu seras prête.

Je ne prends même pas la peine de lui répondre tant il est absorbé par ce qui se passe sur son écran. J’ai beau me répéter que ce n’est pas sa faute, quand bien même...De toute manière, le voilà déjà en grande conversation avec son I.A ! Je me dirige alors vers ma cellule, le long du couloir, des écrans de toutes parts affichant les news en continue, des pubs pour les produits du groupes, plébiscitées par tel ou tel influenceurs. Sur un des écrans, je me vois remonter le corridor. Filmée H24 au cas où j’aurais envie de partager sur les réseaux ... j’ai l’image, mais pas le son, ce n’est pas plus mal ! une fois les portes refermées derrière moi, mon pager du format d’une carte de crédit, se met à envoyer des signaux rouges, comme pour me rappeler que je ne peux pas vivre sans lui ! je ne repositionne pas tout de suite mon neuro transmetteur, incompatible avec le liquide amniotique du caisson, tout comme l’implant visuel. C’est une des raisons qui m’a poussé à participer à cette expérience. Tout le temps où l’on aura besoin de moi, je devrais faire sans mon implant visuel. Pfiouuu, tu parles d’une galère ! Je mis en place mon neurotransmetteur derrière le lobe de mon oreille gauche, je ne voudrais pas froisser Estéban, mon intelligence artificielle.

  • Cette séance s’est bien passée ? questionna Estéban ?
  • Etrangement oui !
  • Le débriefing avec Helene et Harold est annulé. Ils ont un contretemps avec un des sujets. De ce fait, j’ai déjà demandé après le taxi pour te ramener à ton rendez-vous. Il sera au pied de la vitalcorps dans 7 mn
  • Mon rendez-vous ? questionnai-je. A ma grande surprise, j’avais déjà oublié ! Beauté de notre conscience ou inconscience qui efface tous les éléments désagréables de ta vie... Mon père, un rendez-vous, une sorte de seconde chance... repartir à zéro...auparavant, la simple évocation de mon géniteur aurait provoqué des grandes crises d’angoisse. La peur de l’inconnu, cette personne qui avait, selon mes souvenirs d’enfance, préféré m’ignorer que de m’accompagner dans ma maladie. Maintenant, je sens que je suis capable de pouvoir me tenir en face de lui sans craintes. J’en étais là de mes réflexions quand je finis d’enfiler ma combinaison Hydraclever spéciale anti UV. Alors que je terminais de raccrocher mon collier, Estéban interrompit le cours de ma pensée.
  • Ton taxi est arrivé, je le fais patienter. Ton taux de glucides est bas, tu devrais prendre un bodypeps.
  • Oui oui ...
  • Mon pourcentage de probabilité avec un calcul rapide est de 0.52% que tu suives mes indications, annonça-t-il sur un ton monocorde synthétique
  • Tu as vu, on est en constante progression ! tu pourrais être fier de toi, Estéban !
  • Je n’ai pas été programmé pour être fier, mais être ton assistant personnel de vie.

L’implant, situé dans mon poignet, me permit de verrouiller ma cellule et passer tous les contrôles de sécurité. Passe partout comme je m’amusais à le décrire. Plus un multitâches servant de traqueur, docteur, banquier, etc, etc...

Un dernier passage de mon poignet et je me retrouvais à l’extérieur de vitalcorps. La chaleur étouffante s’abattit sur moi comme une masse. Satané réchauffement climatique, pensais-je. Encore un effleurement de mon poignet et je pu me réfugier à l’intérieur du taxi électrique auto porté par propulsion. Une température agréable y régnait.

  • Bonjour, pfiou, qu’est ce qu’il fait chaud ! c’est intenable dehors !
  • .....

Aucune réponse du conducteur. Il avait déjà signalé son insertion dans le trafic et ma ceinture de sécurité m’avait emprisonnée de sa protection. Le conducteur, surement un Yakoute, n’avait pas eu envie d’activer son assistant traducteur, surement car la License était trop chère pour cette main d’œuvre aux abois. Ils étaient nombreux, que cela soit les yakoutes, les sâmes ou encore les Inuits, depuis la fonte des glaciers, à s’être joint en masse a cette exode vers les E.U.T. ou plus communément appelés les états unis terriens, car depuis plus de 25 ans, il était possible, si on le souhaitait, de s’exiler vers les colonies lunaires. Enfin, si on avait un compte en banque bien douillet ou des connexions à des très hauts niveaux ! pour le commun des mortels, il nous restait cette terre mourante, ou de toute manière, une grande masse n’en avait que faire ! Ou juste, il ne s’en rendait pas compte, car ne se questionnant pas à ce sujet, leur assistant ne les tenait pas informés. Car voilà, on en était bien arrivé à ce stade. Il n’y avait plus de couples ou si peu... on commandait nos enfants avec tel ou tel patrimoine génétique. Certains étaient même en relation avec leur A.I et tout semblait normal. Les rencontres fortuites d’une nuit passaient via les assistants et via des capteurs sensoriels. Plus de contacts, que des connexions, des vibrations, des dings, des thumbs up... et moi, dans tout ça ? Et bien moi, j’allais rencontrer mon père... pas en visioconférence ou en appel de groupe, ni en messenger, non en visu, sans écrans entre lui et moi. Un saut sans filet de protection.

Le taxi s’était garé tout en douceur. Sans même se retourner, le conducteur m’avait transmis l’ordre de paiement, que je validais de mon empreinte digitale. En descendant du taxi, un rapide coup d’œil à l’intérieur du café me confirma sa présence. Le temps n’avait pas eu d’effet sur lui, ou bien il avait abusé des dernières technologies de rajeunissement, va savoir... il m’a vu ! il m’a reconnu ! dès que j’eu franchi le seuil du « cafédesmondes », il se leva et vint à ma rencontre. Il n’était pas très imposant du fait de sa stature. Entendons par là, que gènes de famille oblige, il était petit et mince. D’allure sportive, le teint légèrement halé, il arborait toujours sa barbe mouche, surement depuis plus d’un demi-siécle... En tout point je lui ressemblais. Il ne pouvait pas nier que j’étais sa fille. Nos cheveux noirs de jais, la couleur de nos yeux, la taille... je le sentais nerveux, j’en étais tout autant.

  • Marie ! je suis content que tu ais accepté de venir. Dit-il d’un air trop enjoué.
  • Paul...
  • Mais assieds-toi donc ! que veux-tu boire ? tu as faim peut être ? commandons !

Sur la surface retina de la table était détaillé le menu. Je commandais donc un café 100% arabica des plateaux de l’ex-arctique accompagnée d’une mousse à l’ersatz de yuzu et framboise. Il se mit à parler en premier, de tout de rien, me questionner sur ma vie actuelle. Notre conversation eu du mal à démarrer tant que je restais sur la défensive. Puis, à un moment donné, le barrage a cédé, comme on vomit d’avoir trop bu ou trop mangé, moi je lui ai vomi tout mon ressenti, ma colère refoulée, ma tristesse. J’ai laissé s’abattre sur lui un tsunami de larmes. Il a dû faire face à mes incompréhensions ressurgissants de mon enfance, de son abandon... alors sa main, qui tenait son menton, est venue se poser sur la mienne. Et ce père qui, pour moi, m’avait abandonné, ce père absent, transparent, tassé sur lui-même, encaissant sans broncher mes attaques, se redressa sur sa chaise.

  • Parce que tu penses que c’était simple pour moi ? Ecouter et obéir aux médecins ? Ta maladie avait pris le dessus, je ne reconnaissais plus ma propre enfant ! Marie....j’ai tellement souffert sans jamais rien montrer pour te montrer qu’il fallait rester fort ! Parfois, tu arrivais à lui tenir tête, et je te voyais revenir à la vie. Tu reprenais possession de ton corps, de ta tête, tu étais là à nouveau. Tu revivais ! tu étais même créative !
  • Comment ça ? Créative ? mais de quoi parles tu ? Présent ? et a quels moments ?
  • Chaque été, aux premiers jours des vacances, je venais te récupérer et je t’amenais au bord de la méditerranée. Peut-être que tu n’en as conservé aucun souvenirs....
  • Non aucun en effet, je ne vois pas de quoi tu parles... il avait éveillé ma curiosité. Il avait ouvert quelque chose en moi et j’étais prête à l’écouter.
  • Chaque été, je t’amenais dans les grottes du massif des calanques, près de Cassis ! c’était bien avant qu’elles ne disparaissent complétement avec la montée des océans et des mers....
  • Des grottes ? j’avais le souffle coupé. Des grottes ? et s’il faisait référence aux grottes de mes rêves...
  • Oui, ces grottes sculptées par la mer on y faisait du camping sauvage, tu dessinais sur les murs avec la cendre du feu et moi, je te regardais faire, revenir à la vie. Reprendre possession de toi...
  • Ces grottes étaientelles faites de sable rouge ?
  • Oui, c’est exactement ça !
  • Mais alors, ce n’était pas des rêves.... C’était mes propres souvenirs... cette découverte me plongea dans une profonde réflexion.
  • Mais de quoi tu parles ? tu veux m’expliquer ? Marie ? Marie ? tu m’entends ?

Mon cerveau carburait a 100% ! Si cela était donc mes souvenirs d’enfances et non des rêves....

  • Marie ! me cria t-il, pour me faire revenir sur terre ! il paraissait inquiet. Je me devais de le rassurer, mais pas là, je devais amener ces infos a vitalcorps au plus vite !
  • Tout va bien papa ! je dois partir ! ne t’en fais pas ! je t’expliquerai ! et m’adressant à mon I.A :
  • Estéban, trouve-moi un taxi le plus proche possible !

J’avais déjà quitté mon siège, dehors le temps avait radicalement changé. Foutu dérèglement climatique ! mais j’étais prête ! Prête à affronter les éléments, le vent, l’averse orageuse qui s’abattait à l’extérieur du café. On n’y voyait goutte quand s’abattait ces orages de fin de journée. Je commençais à avancer tant bien que mal quand un taxi se gara à mon niveau. Je sautais à l’intérieur. Pas besoin de lui donner mon trajet, Estéban s’en était déjà chargé. Je profitais de l’instant pour envoyer « merci papa ! A très bientôt. »