J’ai le S.I.D.A., A.I.D.S. en anglais. Mais A.I.D.S. peut vouloir dire en français que j’ai besoin d’aide. En un sens, cela ne veut rien dire... Non… Je souffre juste d'immunodéficience… Rien de plus. Et ce soir, je vais de nouveau rencontrer Marie. Marie, qui voudrait votre beau nom tourner, il trouverait Aimer La rue est étrangement vide. Il pleut légèrement. Paris est ainsi, triste et joyeuse sous la pluie. Je m’allume machinalement une clope et j’en porte ses volutes à mes narines. Je ne fume pas. Juste que le moment s’y prête. Cette femme me fascine et je suis malade. Malade à en mourir. Comment ne pas offrir à un condamné une dernière cigarette. Imaginer ses lèvres posées sur mon corps revient pour moi à consumer cette tige de tabac encré Camel. Les matins solennels, le rhum, la cigarette... Les ombres du tabac, du bagne et des marins visitent ma cellule où me roule et m’étreint le spectre d’un tueur à la lourde braguette. En me posant devant sa porte je sens mon cœur battre dans l’ensemble de mon corps. Mes tempes flappent ma cervelle. Ce mot n'existe pas mais il traduit parfaitement l'état des sentiments inconnus que je découvre en pensant à Marie. Et je me bloque, je deviens mon ombre réverbérée sur le mur, une sorte de masse amorphe qui hésite à agir pour prendre vie. J’appuie sur son prénom et sa voix de sirène m’envoûte. — « Bonsoir Ulysse, vous êtes de retour. Les Argonautes sont tous morts mais je vous attends depuis tant de temps… Montez non pas au 7ème ciel, juste au 4ème étage. Votre Pénélope vous attend. Le code est 1324. » Machinalement je tape le passe qui m’ouvre la grotte de Midas. Et pas à pas, je monte.

Cela fait trois heures que je me prépare. Mon cœur n’a pas battu comme cela depuis mon divorce. Quand cet enculé m’a annoncé qu’il partait avec sa secrétaire en me laissant seule avec les enfants, j’ai cru que j’allais mourir. Mais non. Par contre aimer, non, plus jamais. Et l’amour ? Il faut nous laver de cette crasse héréditaire où notre vermine stellaire continue à se prélasser. Que faire à manger ce soir s’il a des intolérances ? Que faire pour lui plaire et lui montrer la femme rayonnante que je suis ? Pourquoi vouloir lui plaire alors que j’ai déjà trois enfants et que je ne compte plus en avoir ? Et ensuite, comment le présenter à ma famille ? Marie d’un clignement de sourcil retourna ces questions et elle se passa délicatement du gloss sur les lèvres. Et comment lui annoncer ce problème d’ordre intime ? Un bruit aigu stoppa net ses pensées, il était là, en bas de l’appartement. Dans sa jupe noire elle se mira une dernière fois avant d’aller lui ouvrir. — Bonsoir Tom, vous êtes là. Mes enfants sont absents, ils sont chez leurs grands-parents. Montez, 4ème étage, je vous attends. Marie gloussa, elle oubliait l’essentiel. Le code pour entrer est 1, 3, 2 et 4. Numéro 2806. » Raconter la montée des escaliers, les banalités d’accueil, le repas, la gêne d’un amour naissant serait obscène. Passons directement à la partie qui nous intéresse.

Tom est légèrement saoul. Il est sous le charme de Marie. Toutefois un frein l'empêche de faire le premier pas. Ce frein porte un nom, ce frein est sa maladie, un acronyme de quatre lettres, A.I.D.S. Effleurer la main de Marie quand il l'a aidée à débarrasser la table l'a plus que perturbé. Marie quant à elle ne laisse rien transparaître. Mais intérieurement elle bout. Tom, son corps, son odeur, ses mots, son être tout l'attire. Toutefois elle aussi a un frein. Le poids de la culpabilité la ronge. Elle n'arrive pas à s'en libérer. Le repas est terminé. Que faire ??? Tom est sur le départ mais Marie ne veut pas que cela se termine ainsi. Elle doit parler. — Tu sais Tom, j'ai beaucoup de choses à te dire sur moi. Il y a des zones d'ombres que j'aimerais lever. Tom la regarde sans parler. Les mots n'arrivent pas à sortir de sa bouche. Lui aussi a plein de choses à dire, dont un secret terrible mais il est pétrifié. Il se dit que l'instant est magique. Il pose un doigt sur la bouche de Marie pour lui indiquer qu'elle n'a pas à parler de ses secrets. Il avance sa bouche pour l'embrasser. Le temps se suspend... Il ferme les yeux, Marie aussi. Et soudain, comme la glace qui craque sous les pieds d'un patineur, Marie se retire du baiser. Non lui dit-elle, je ne peux pas. Avant de t'embrasser je dois te dire quelque chose. Un silence pesant s'installe entre eux. Marie s'engage alors dans une explication détaillée de sa culpabilité. Marie lui explique que son ancien mari passait son temps à la tromper. Qu'elle a depuis du mal à faire confiance aux hommes. Que pire, sa bouche est sèche, elle ne peut en faire sortir des mots... Le pire du pire est arrivé. À force de multiplier les infidélités, son ex-époux l'avait contaminée. Elle avait en elle une tache d'infamie qui se nomme aux yeux du monde S.I.D.A. Qu'elle suit depuis deux ans une trithérapie, qu’elle voit un psychiatre pour l’aider à mieux vivre cela… et que c'est une des raisons, qui fait qu'elle ne veut plus s'engager dans une relation suivie avec un homme... Pour Tom le choc est énorme. Il essuie machinalement les larmes qui coulent sur les joues de Marie pendant qu'elle lui parle de tout cela. Il ne prononce pas un mot. Il tend les bras vers elle pour la serrer contre lui. Il lui dit doucement à l'oreille : « Je ne sais pas si c'est incongru mais je t'aime. » Marie se demande si elle comprend réellement ce qui se passe pour eux. À la radio une chanson de Daniel Darc se met à raisonner. Et moi je n'attends qu'elle, oui mais autant vouloir se tuer dans son lit couché en espérant une balle perdue... Tom lui dit qu'il veut passer la nuit avec elle. Qu'ils ne feront pas l'amour et que cela ne le dérange pas. Il lui dit aussi qu'il est plus qu'heureux de l'avoir rencontrée. Qu'il veut prendre son temps pour la découvrir. Que lui aussi a des choses à lui raconter. Mais qu'il le fera demain, sous la forme d'une trace écrite. Cette trace écrite que Marie lira demain à son réveil, c'est simplement celle que vous venez de lire.