— Allo Hélène ?

— Oh ! Coucou Marie ! Comment vas-tu ? Ça fait un bail qu’on s’est pas parlé !

— Oui, en t’appelant j’essayais de calculer, ça doit faire au moins un mois.

— Ah oui ! Oh ! ça passe trop vite ! Comment ça va ?

— Pas mal. Les enfants sont chez leur père ce week-end, je souffle un peu.

— Cool !

— Oui, en plus il prolonge et va les garder toute la première semaine des vacances.

— Ah oui ? Incroyable !

— Tu m’étonnes ! Mais bon, ça va faire un an qu’on fonctionne juste sur les week-ends, il serait peut-être temps qu’il passe à la vitesse supérieure pour la prise en charge de ses enfants. En tout cas, on progresse. Donc, il m’a appelée la semaine dernière pour me demander si ça me dérangerait qu’il les emmène avec lui en vacances. Ils vont sur l’île de Groix. Ça m’a d’abord fait plaisir de penser qu’enfin il se sent capable d’assumer le quotidien de ses gosses.

— Ouais, en même temps, ça va, ils sont grands maintenant !

— C’est sûr et en plus, à mon avis, il va bien se reposer sur Solenn.

— Ah bon ? tu penses qu’ils partent ensemble ?

— J’en suis quasi sûre. Je ne lui ai pas demandé, j’avais pas envie qu’il me fasse un sketch sur son « soi-disant manque de responsabilités que je passerais ma vie à lui reprocher ». Mais je me suis demandé pourquoi Groix ? il n’a jamais eu d’attirance particulière pour la Bretagne. Et là, ça m’a fait tilt : Solenn est bretonne et je crois qu’elle a une maison familiale là-bas. J’en ai déduit qu’ils avaient franchi une étape et qu’ils prenaient leurs vacances ensemble.

— Ça te fait quoi ?

— Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse ? J’aimerais tout simplement pas être à sa place à elle. Elle va tout se coltiner et Éric trouvera toujours un truc à redire. Vraiment, je ne les envie pas. Du coup, je me suis aussi pris une semaine de vacances et j’ai bien envie de monter à Paris.

— Ah super ! on va pouvoir se voir ! Mais, tu vas faire comment avec Maman ?

— Ça changera pas grand-chose, y a l’infirmière qui passera tous les jours, comme d’habitude. Je vais lui préparer des plats à réchauffer et il y a toujours Madame Picard et ses délicieux plats surgelés ! Et pour la nuit, ma copine Samia va venir dormir ici. Ça l’arrange étant donné qu’en ce moment elle reçoit sa belle-famille !

— Ah ! Ah ! trop drôle ! Et tu arrives quand ?

— Je sais pas encore trop. Je vais me prendre un Airbnb. J’ai repéré une toute petite maison très sympa du côté de Montmartre, très mignonne.

— Ben pourquoi tu viens pas chez nous ?

— Je veux pas te vexer mais j’ai trop envie de calme, de me retrouver avec moi-même. En fait, j’y ai pris goût. Les week-ends que les enfants passent chez leur père sont du pain-béni pour moi. Je profite à fond d’être le centre de mon petit monde.

— Mais t’as pas peur de finir ourse ?

— Non, t’inquiète. Je vis pour moi mais ça veut pas dire que je fasse l’ermite. Je sors, ou pas, je vois des amis, ou pas. Je fais très exactement ce que j’ai envie de faire.

— Oh ! tu me donnerais presque envie de bazarder ma famille ! Mffff !

— Qu’est-ce qui te fait pouffer ?

— Je repense juste aux circonstances qui t’ont amenée là.

— M’en parle pas !

— Je ne peux pas m’empêcher de penser que tu as provoqué l’incident.

— Non non ! au contraire, j’étais super mal. Je ne voulais pas ça du tout.

— Quand même, se faire toper par son mari avec son amant !

— En plus, il était même pas encore mon amant ! OK, ça n’allait pas tarder à mon avis. Éric a juste surpris l’intimité d’un geste. Par contre, c’est vrai que j’aurais pu essayer de le détromper et que l’idée ne m’a pas du tout effleurée. Inconsciemment je devais avoir envie de cet électrochoc. Marre d'être toujours la cocue de l'histoire !

— C’est quand même incroyable qu’il vous ait surpris à la terrasse de ce café.

— Oui, d’autant plus qu’il n’était pas sensé être en ville ce jour-là. Il avait un chantier à contrôler à cent cinquante kilomètres de chez nous. C’était vraiment pas de chance qu’un problème avec sa voiture de location l’ait conduit dans le quartier où j’avais rendez-vous avec Paul !

— Ou ça a été plutôt une chance finalement.

— Finalement oui. Sur le moment ça a été très dur mais quand je vois ma vie aujourd’hui, quel bonheur !

— Et Maman, elle met un peu d’eau dans son vin ? Depuis qu’elle vit chez toi, ça doit pas être évident.

— Non, toujours rien de ce côté-là. Elle décline intellectuellement, tu sais. On évite le sujet. Je sais qu’elle reste bloquée sur la honte d’avoir engendré une salope de fille qui a trompé son mari. Le fait que j’ai vécu sous emprise pendant dix-sept ans, que je marchais perpétuellement sur des œufs pour éviter les crises, la honte des pétages de plomb chez des amis pour un regard soi-disant complice entre l’un d’entre eux et moi, le mal-être des enfants qui ne savaient jamais comment se comporter quand leur père était à la maison… tout ça, ça ne lui dit rien, on ne dérogeait pas aux règles de la bienséance, ça n’entachait pas son image de marque, ni la mienne. Maintenant que je ne me sens plus piétinée, que j’ai retrouvé confiance en moi, que je suis heureuse, tout simplement, tout ça elle ne l’entend pas, elle reste bloquée sur « l’infamie de ma trahison ».

— Ah ! Ah ! je crois l’entendre ! Et puis avec la maladie, ça va être difficile de la faire changer.

— En plus, je me trompe peut-être mais je me demande si, au fond, elle ne me jalouse pas un peu. Jean-Marie n’a jamais été un grand malade comme Éric mais il n’était pas tendre non plus. Dans ses dernières années Maman a un peu mené une vie de carpette avec lui, non ?

— Oh ! tu exagères ! Elle va t’entendre !

— T’inquiète, c’est l’heure de sa sieste, elle a mis ses boule Quiès. Mais c’est vrai, quoi ! Regarde un peu sa vie ! Toujours pour son mari ! Et elle là-dedans ? Quelle femme était-elle ?

— Je ne suis pas sûre que la question se soit posée à elle.

— Exactement ! mais elle s’est imposée à moi et j’en tire le plus grand bénéfice et ça, elle doit bien s’en rendre compte.

— Peut-être, je ne sais pas… Et sinon, j’ai une question un peu indiscrète.

— Ah oui ? vas-y.

— Côté sexe… c’est comment ?

— Ah ! Ah ! Ah ! Je te reconnais bien là, Hélène !

— Ben quand même, la question se pose. T’as pas un homme à disposition dans ton lit tous les soirs !

— C’est vrai. Mais comme sur plein d’autres sujets, j’apprends pas mal de choses sur moi-même. Pour tout te dire, au début, quand ça a pété avec Éric, le sexe était très loin de mes pensées. Trop de choses à gérer, trop d’émotions qui partaient dans tous les sens. Je n’ai même plus revu Paul depuis ce jour-là alors qu’il m’avait apporté beaucoup et que j’étais prête à passer à l’acte avec lui. Non, franchement, le sexe était vraiment super loin de mes pensées et de ma vie.

— Oui, je comprends, tu avais d’autres chats à fouetter !

— C’est ça, rigole avec tes sous-entendus graveleux. Par contre, quand les choses ont fini par s’apaiser, que nous avons trouvé notre rythme de croisière, sans pratiquement plus de tension avec Éric, j’ai commencé à me tourner vers l’avenir et à me questionner sur une possible relation. Mais franchement, je n’en ai pas envie, je suis trop bien de n’avoir que les enfants et moi-même à gérer. C’est vrai que maintenant j’ai Maman aussi mais elle ne pose vraiment aucun problème. On n’aborde pas les sujets qui fâchent, c’est tout.

— Oui, il vaut mieux pas.

— Bon, sinon, d’accord, j’ai passé une nuit à l’hôtel avec un type le mois dernier.

— Non ?! Raconte !

— La boîte recevait ce gros fournisseur et devait renégocier son contrat, notamment la partie facturation. Du coup, en tant que responsable du service comptabilité, j’ai fait partie de la réunion, qui s’est terminée par un dîner au Trois Chasseurs.

— Ah oui ! on ne se refuse rien !

— Y’a pas de raison ! Bref, j’avais bien senti le regard du gars quand j’intervenais et je voyais bien qu’il n’y avait pas que mes propos qui le captivaient. Au resto, il s’est arrangé pour s’asseoir à côté de moi, ce qui ne m’a pas du tout dérangée vu que je le trouvais pas mal non plus. Du genre beau ténébreux. Limite cliché mais j’avoue que quand il me regardait, ça me faisait des petites sensations pas désagréables.

— Ah ! Ah ! Ah ! je vois le genre ! Et alors, tu lui as proposé un dernier café ?

— Pendant le repas on a participé l’air de rien à la conversation mais bizarrement, on a pas arrêté de se frôler. La cuisse, le genou, la main… à échanger des petits regards, soi-disant pour s’excuser.

— Oh pardon, je vous ai fait du genou par inadvertance ! trop drôle.

— En gros, oui ! En partant, il s’est inquiété de trouver un taxi pour rentrer à son hôtel, qui était justement sur ma route. C’est tout naturellement que je lui ai proposé de le raccompagner.

— Ben voyons !

— Dans la voiture il a été direct et ça m’a plu. Il m’a demandé si j’accepterais de monter avec lui dans sa chambre. Il m’a dit que je lui plaisais beaucoup et qu’il avait envie de moi.

— Ouah ! c’est chaud !

— Au moins, tu sais à quoi t’en tenir. J’avoue qu’au fond de moi ça m’a flattée.

— Attends Marie, tu as toujours été une bombe !

— Hélène, j’ai trente-huit ans, trois enfants, trois ados même et ça faisait dix-sept ans que je couchais avec le même homme. J’ai quelques raisons de douter de mon pouvoir de séduction.

— Plus maintenant apparemment !

— C’est vrai que cette petite histoire m’a redonné confiance. Tu sais, ça fait bizarre de se mettre à nu devant un quasi inconnu. Quand j’avais vingt ans, ça ne me faisait pas peur mais là, j’étais limite prude. Mais ça n’a pas duré ! Ah !

Ah ! Ah !

— Ah ! Épargne-moi les détails ! Du coup, tu vas le revoir ?

— Oh non ! c’était clair dès le début qu’on profitait de l’occasion pour se faire plaisir et c’est tout. Il est marié et moi je suis très bien dans ma vie telle qu’elle est. C’est parfait comme ça. D’ailleurs, on ne s’est pas reparlé depuis. Par contre, je discute avec deux trois personnes sur Tinder.

— Non ?!

— Oui, un week-end les enfants ont à tout prix tenu à me faire un profil.

— Même Camille ? Il est pas un peu jeune pour ça ?

— Il a douze ans, tu sais. Il va au collège, et à côtoyer son frère et sa sœur, il grandit vite.

— C’est vrai. Alors, raconte ce profil.

— Qu’est-ce qu’on a ri. Surtout pour les photos. Salomé tenait à tout prix à me mettre à mon avantage comme elle le fait sur les réseaux avec ses copines. Elle m’a maquillée, fallait que je prenne des poses, on essayait plein de filtres. Mais franchement, je ne m’y reconnaissais pas, je n’ai jamais été sophistiquée comme elle. C’est incroyable toutes les astuces beauté qu’elle connaît du haut de ses dix-sept ans. Finalement, j’ai posté des photos comme je suis habituellement, en jean et t-shirt.

— Je suis sûre que tu dois être canon. Avec ta tignasse et tes yeux clairs, tu as toujours fait fondre les hommes.

— Oui, apparemment, ça a dû marcher, j’ai eu plein de réponses mais je discute juste avec deux types qui ont l’air sympa. Par contre j’ai pas trop envie de les voir pour l’instant, ça m’intéresse pas plus que ça et ils ont l’air de le comprendre. Le plus drôle c’est que j’ai même matché avec une fille !

— Non ? Tu vas virer de bord ?

— Non, je ne crois pas et je l’ai tout de suite prévenue. Mais c’est pas grave, on s’entend bien, elle a vraiment l’air cool. On a plein de points communs. Elle est divorcée aussi. Elle a deux garçons et l’aîné a quinze ans, comme Quentin et elle a l’air super drôle. Elle, j’ai envie de la voir parce qu’il n’y a pas d’enjeu et ça me repose.

— Eh ben ! il s’en est passé des choses en un mois !

— Oui c’est vrai. Et toi, comment vas-tu ? et Yvan et les garçons ?

— Ça va bien. On a prévu de se faire une petite escapade en amoureux en Croatie dans deux semaines. La mère d’Yvan viendra à la maison pour gérer les garçons.

— Ah ! c’est cool ! vous avez tout compris au couple vous deux.

— C’est vrai qu’on se débrouille pas mal. Mais du coup, on te voit la semaine prochaine ?

— Bien sûr, je viendrai dîner un soir chez vous. Je vais réserver tout de suite mon train et la maison et je te confirme mes dates. Tu pourras te libérer une journée pour qu’on se fasse une petite expo resto ?

— Oui, j’ai des RTT à prendre et c’est calme en ce moment à la bibliothèque. Pour une fois, personne n’est en arrêt. Donne-moi vite tes dates que je puisse poser ma journée.

— OK, je fais ça maintenant et te rappelle de suite.

— OK super ! on se voit très bientôt ! Je t’embrasse

— Oui, moi aussi. Gros bisous sœurette. Et embrasse bien tes hommes pour moi !

— D’ac ! Embrasse Maman ! Bisous, à très vite !